Quels sont les problèmes de tous les votes à distance :
- le secret de l’isoloir disparait :
- possibilité de pressions de l’entourage, ou confiscation par un dictateur d’appartement de tous les droits de vote,
- risque d’achat de votes, car contrairement à l’isoloir, on peut faire la preuve à l’acheteur de son "bon" vote, en votant devant témoin, ou en vendant son mot de passe. Comparé au vote par correspondance, Internet faciliterait l’organisation de telles pratiques.
- l’acte de voter est désacralisé. De collectif, avec tout le symbolisme du bureau de vote, il se déplace dans l’espace privé qu’est le domicile [1]. Ou pour être plus trivial, va-t-on voter entre une commande à la Redoute et un SMS à la Star’Ac ?
Pour le vote par Internet, s’ajoutent des difficultés techniques :
- selon l’expert en sécurité Bruce Schneier, « un système de vote via Internet sûr est théoriquement possible, mais il s’agirait là de la première application réseau sûre jamais créée dans l’histoire de l’informatique. » [2]. Autant dire que le "théoriquement" risque de se vérifier. Voir également l’analyse faite par des universitaires américains du projet SERVE (abandonné depuis) de vote par internet des militaires américains.
- la comparaison avec la banque par Internet ne tient pas : si une transaction est erronée, vous vous en apercevrez à posteriori sur votre relevé de compte, et pourrez faire rectifier. Avec le vote, rien de tel, comme il est secret, rien n’est visible ni rectifiable.
- rendre le vote secret et vérifier le droit de voter de l’électeur (ce qui suppose de l’identifier) sont deux exigences contradictoires. Elles semblent résolues d’un point de vue technique, mais comment en apporter la garantie à l’électeur qui va voter sur la machine même où il vient de taper un code l’identifiant ?
- le point faible est souvent l’ordinateur de l’électeur. Un PC sous Windows est particulièrement difficile à sécuriser, au moins un minimum. Certains projets de vote par Internet se sont réorientés vers l’utilisation de bornes publiques (Allemagne).
Accepter tous ces risques peut dépendre de l’enjeu des élections : certains sont tentés d’être plus souples concernant les élections non politiques ou les référendums locaux ce qui n’est pas une approche satisfaisante. Certains votes, même non politiques, peuvent susciter de grandes tensions que n’apaisera pas l’utilisation d’un mode de mode non transparent. Imaginez les enjeux financiers si la Mairie de Paris faisait un référendum à propos d’un gros projet d’urbanisme...
Comme tout le monde n’a pas Internet ou ne sait pas bien s’en servir, et qu’un problème technique peut toujours subvenir, le vote par Internet n’est envisagé que comme alternative aux autres modalités de vote (par correspondance et/ou dans des bureaux de vote selon le cas). Les consultations d’étudiants organisées par les universités françaises en novembre 2007 ont dérogé à ce principe.
Beaucoup d’enthousiasme néanmoins
l’abstention diminuerait. Apporter une solution technique à un problème essentiellement de fond (confiance dans l’action politique) est assez vain. Les premières expérimentations ont été décevantes ou peu concluantes. En Grande Bretagne, proposer le vote par Internet n’a pas eu d’effet sur la participation. En revanche, le vote par correspondance a eu une influence [3]. On peut craindre qu’une hausse initiale conduise à une baisse à long terme, causée par la banalisation du vote. Et les internautes ont déjà tendance à voter plus que la moyenne [4].
plus généralement, on attend qu’Internet améliore la démocratie en facilitant le débat et le contact citoyens/élus. C’est une piste prometteuse, mais pourquoi la lier systématiquement au vote électronique ?
les Français de l’étranger voteraient plus facilement. Ceux-ci doivent aller voter au consulat, parfois distant de centaines de kilomètres. Le vote par correspondance résoud aussi ce problème, bien que dans certains pays le courrier fonctionne mal. Et puisque ces techniques présentent des risques, si la décision politique est prise de les accepter, pourquoi ne pas les restreindre à la fraction des électeurs réellement éloignée du consulat ? En accompagnant cela d’un effort sur la création de bureaux de vote hors du consulat (expérience en Espagne en 2005). L’expérience de vote par internet de juin 2006 a été si peu concluante que les français de l’étranger n’ont pas été autorisés à utiliser de nouveau ce mode de vote pour l’élection présidentielle de 2007 comme cela était initialement envisagé.
Figure imposée
Tout vote à distance est un échange de sécurité contre de la participation (parfois hypothétique) ou de la convivialité. Prenons une déclaration typique du gouvernement [5] : « Il convient enfin de rappeler que le passage au vote en ligne par Internet pour les élections politiques est un exercice complexe. En effet, il est nécessaire de garantir lors de l’ensemble des opérations électorales la liberté et le secret du vote, qui sont des principes fondateurs de notre démocratie. »
On retrouve un schéma classique dès qu’on parle du vote par Internet. On glisse une belle proclamation pour se donner bonne conscience, et on se hâte de parler technologie ou organisation pratique, sans donner la moindre piste sur comment compenser la disparition de l’isoloir. La vérité est que cette piste n’existe pas. En tant que lecteurs de science-fiction, nous pouvons prédire qu’il existera dans quelques décennies des maisons intelligentes qui sauraient dire avec certitude si leur occupant est seul, mais pour l’instant ce n’est pas le cas. En attendant ces temps merveilleux, nous ne pouvons que rappeler la triste réalité : sans isoloir, on ne peut garantir ni le secret, ni l’indépendance du vote.
Financièrement
Le coût du vote par correspondance est assez proportionnel au nombre d’électeurs. Le vote par Internet, quant à lui, nécessite un investissement élevé pour ensuite un coût par électeur faible (mais il faut quand même envoyer identifiant et mot de passe par la poste). Sa rentabilité nécessite donc qu’il s’étende. Cela peut affecter le discours des fournisseurs de solutions de vote par Internet.