Logo Ordinateurs–de–Vote.org Citoyens et informaticiens
pour un vote vérifié par l'électeur

Accueil du site > Temporaire > Brest > Pour nous la machine à voter, c’est non !

Pour nous la machine à voter, c’est non !

17 avril 2004

Contribution de BAGA ! (Brest à gauche autrement !) adressée au Ministère de l’Intérieur, au Préfet du Finistère, au maire de Brest suite à l’expérimentation des machines à voter électroniques qui a eu lieu à Brest lors des élections cantonales et régionales de mars 2004.

La machine à voter a fait sa première apparition dans la cité du Ponant les 21 et 28 mars 2004. Première en France, cette expérimentation est semble-t-il amenée à être renouvelée lors des élections européennes le 13 juin prochain dans une trentaine de villes.

Notre mouvement politique BAGA ! (Brest à gauche autrement !), présentant des candidats aux élections cantonales, a découvert l’existence de cette machine par voie de presse quelques temps avant les élections. C’est même seulement la veille du scrutin que le décret du Conseil d’Etat est paru !.

Méfiants comme beaucoup devant une "innovation" qui, à notre connaissance, n’avait été portée par aucune revendication démocratique, nous avons fait le choix de ne pas nous exprimer sur le sujet avant son expérimentation. Sur bon nombre de sujets locaux nous revendiquons d’ailleurs ce droit à l’expérimentation, pourvu bien sûr que la conclusion finale n’appartienne pas exclusivement aux décideurs institutionnels. Notre silence était aussi motivé par le souhait de ne pas alimenter la suspicion avant un vote qui lui n’avait rien d’expérimental.

Aujourd’hui l’expérience est derrière nous et elle est riche d’enseignements d’autant qu’il y a eu deux tours et dans la majorité des bureaux de vote, deux élections.

Nous ne souhaitons pas reprendre l’ensemble des points qui ont déjà fait l’objet de plusieurs témoignages dont certains ont été publiés dans la presse. Nous en joignons d’ailleurs trois d’entre eux.

Certains des difficultés soulevées peuvent sans doute être réglés par des améliorations techniques et organisationnelles comme par exemple :
- La disposition des tables et l’isolement de la machine préserveraient un peu mieux la confidentialité des votes.
- L’augmentation du nombre de machines et de bureaux. Il semble que cette expérience a été le prétexte à une diminution du nombre de bureaux qui n’est pas sans rapport à l’engorgement impressionnant auquel électeurs et assesseurs ont du faire face (jusqu’à trois quart d’heures d’attente !).

D’autres difficultés nous semblent aujourd’hui impossible à résoudre comme par exemple :
- Il n’est plus possible de voter nul comme rayer des noms, mettre deux bulletins dans la même enveloppe, ce qui reste un mode d’expression possible. Seul le vote blanc est proposé sur la machine par un bouton situé à hauteur des boutons de validation et de correction et donc très éloigné de la zone de reproduction des bulletins. De toute évidence le vote blanc aurait dû figurer au niveau des autres bulletins évitant ainsi de le marginaliser.
- Lorsqu’il s’agit d’un scrutin de liste et non uninominal il est impossible de reproduire, de façon lisible l’intégralité des bulletins de vote sur lequel doit figurer la liste complète. A ce sujet une réserve avait d’ailleurs été officiellement effectuée, avant le premier tour, par la liste LCR/LO dont la reproduction du bulletin recto-verso était encore plus illisible que les autres.

Venons en à deux aspects fondamentaux des élections que sont la transparence du déroulement des opérations de vote et la confidentialité du vote de chacun des électeurs.

La machine à voter, soit n’améliore pas la situation, soit génère une régression, ne serait-ce que par le doute que son utilisation inspire.

La machine à voter est une boîte noire qui s’interpose entre l’acte de vote et l’édition des résultats.

L’acte de vote se traduit par une pression sur un bouton (en lieu et place du dépôt d’une enveloppe dans une urne qui, elle, est transparente).

L’édition des résultats se traduit par l’impression, déclenchée par le président du bureau de vote, de " tickets de caisse " sur lesquels figurent les résultats (en lieu et place d’un comptage manuel effectué par paquet de 100 par 4 personnes volontaires dont deux lisent les bulletins et deux en notent le nombre pour chaque liste ou candidat, le tout surveillé par des assesseurs, délégués de liste, présidents et par les spectateurs).

Quand bien même le programme utilisé par la machine, a priori fort simple, serait mis à la disposition du public, ce qui serait un moindre mal, rien ne permettrait à l’électeur de s’assurer, physiquement, que son vote sera bien pris en compte. Précisons d’ailleurs que seul le président est en mesure de dire si oui ou non l’électeur a voté. L’acte de glisser son bulletin dans l’urne, au vu de tous, est public. Il est remplacé par un écran visible du seul président. Cet écran indique si le vote a été effectué ou non laissant le président seul juge de la matérialité du vote. Ainsi, dans un bureau de vote, il a été constaté 13 émargements de plus que ce que la machine a enregistré. Que sont devenus ces 13 votes ? Nul ne le saura. A chaque fois le président aura indiqué, certainement en toute bonne foi, que le vote a eu lieu, sans que personne d’autre ne puisse le contrôler et même si, dans au moins un cas signalé, l’électeur (-trice en l’occurrence) a indiqué ne pas avoir voté. A l’inverse rien n’empêche un président malhonnête d’accepter deux votes effectués par la même personne surtout s’il est de connivence avec l’assesseur qui est à côté de lui.

Il va sans dire que la procédure classique ne mettait pas à l’abri d’erreurs diverses. Toutefois, au final, c’est bien les bulletins de vote qui étaient recomptés. La matérialité de la preuve existait !

Pour ce qui est de la confidentialité du vote lui même, l’expérience n’est pas franchement concluante. Lors du premier tour il est même manifeste que la disposition des tables permettait aux assesseurs de se faire une idée assez précise du vote. Il suffisait d’observer le positionnement de la main de l’électeur sur le pupitre. La mise en U des tables par rapport à l’urne a un peu amélioré les choses. Toutefois, un véritable isoloir pourrait garantir la confidentialité.

C’est à ce niveau qu’intervient un argument qui se situe aux frontières de la confidentialité, de la psychologie et tout simplement du respect de l’individu. Il relève aussi de la même problématique que celle du banquier face à l’utilisation de la carte bancaire qu’il voudrait universelle, mais qu’il ne peut pas rendre universelle, tout simplement parce qu’une fraction de la population résiste activement comme passivement.

Pour bien comprendre citons un extrait de la lettre d’un assesseur :

" un couple (la soixantaine) vient voter. Le monsieur est plutôt jovial et très affable. Sa femme est par contre renfermée. Madame passe devant Monsieur. Le vote électronique bloque d’entrée à la validation. Il suffisait alors à cette personne de corriger l’opération (bouton correction) puis de recommencer la procédure. Mais nous fûmes dans l’impossibilité de lui faire comprendre ce qu’on attendait vraiment. Elle s’entêta ; nous nous enlisions en explications stériles. Le mari finit, comme l’autorise la loi, par l’aider à voter mais cela dura beaucoup trop longtemps pour ne pas marquer au crayon indélébile la dignité de cette femme. La salle de vote était à son comble, l’ambiance n’était pas bon enfant mais sérieuse et nerveuse, l’assemblée silencieuse, si bien que les paroles eurent un écho accentuant encore plus l’humiliation. Chacun ressentit sans doute de l’empathie. Eux crûrent au mépris. "

Ce témoignage est malheureusement éloquent, et, toute évolution technique, si elle s’avère nécessaire, se doit être adaptée à toute la population. C’est une garantie démocratique. Nos décideurs s’appuient sans doute sur leur modalité de vote de " professionnels de la politique " au parlement qu’ils jugent satisfaisante. Ils oublient tout simplement que pour le commun des citoyens il n’y a pas d’automatisme possible d’un scrutin à l’autre. Au lieu de réfléchir au " Pour qui voter " nous sommes tenus de nous concentrer sur le " Comment faire pour voter ".

Il faut dire encore quelques mots sur la nécessité de cette évolution. A quel besoin correspond elle ? Accélérer la connaissance des résultats, supprimer l’impression des bulletins de vote ? Sans doute. Mais en quoi est-ce utile à la démocratie ? Il ne faut pas oublier le dépouillement collectif, certes long, reste un des rares moments de convivialité et de lien social en lien direct avec la démocratie !

Dans " Sillage " du mois d’avril, le magazine de la CUB et de la ville de Brest, le Maire de Brest, cherchant sans doute à faire le lien entre cette machine et la la démocratie termine son éditorial un peu à l’image du professeur Coué : " Je suis certain que nous ferons école et que la machine à voter sera adoptée dans de nombreuses autres villes. Je crois qu’il s’agit d’une étape vers davantage de démocratie. Seul devant la machine à voter, l’électeur exprime plus que jamais son intime conviction. ".

Peut-être, Monsieur le Maire, mais seulement l’intime conviction de ceux et celles qui sont intimes avec une machine que personne ne réclame.

Cette affirmation peut malheureusement se retourner contre elle. En effet la machine fait disparaître l’isoloir, lieu séparé de l’étape finale du vote (dépôt du bulletin dans l’urne). C’est justement cet isoloir qui permet au citoyen de prendre le temps, à l’abri du regard des autres et sans gêner personne, d’exprimer plus que jamais son intime conviction en prenant tout son temps pour choisir.

La machine à voter établit ainsi une confusion entre le temps de l’isoloir qui est celui de l’intimité du choix et le temps du dépôt dans l’urne qui est la manifestation publique du vote

Brest le 17 avril 2004

BAGA ! (Brest à gauche autrement !)

©© Chris Perrot - dernière modification : dimanche 4 juin 2023.

Répondre à cet article


Suivre la vie du site Syndication/fil RSS 2.0 (explications) | Plan du site | Espace privé | SPIP