Transcription des divers propos (à partir de cet enregistrement) :
Pierre Muller (extrait de son intervention) : « En 2004, l’année où la France autorisait les machines à voter, et notamment la machine Nedap dont vous allez avoir une démonstration tout à l’heure, donc cette année-là, l’Irlande, suite à une contestation citoyenne croissante, a dû nommer une commission indépendante, et cette commission indépendante a déconseillé l’usage de ces machines Nedap. Donc depuis, vous avez 7300 machines qui dorment dans des entrepôts. »
Grégoire Reyns de France-Élection (réagissant depuis le public, au moment des questions/réponses) :« Je voudrais juste apporter une petite précision à M.Muller concernant l’Irlande. Parce qu’on parle de manipulation, et la manipulation de l’information est aussi très facile grâce à Internet. Aujourd’hui, si la Commission en Irlande a recommandé de ne pas utiliser les machines à voter, c’est parce qu’elle a été mise en place deux mois avant les européennes de 2004, et donc la première chose qu’elle a dit, c’est : “nous n’avons pas le temps en deux mois de nous prononcer. Nous recommandons donc la suspension de l’utilisation des machines à voter”. Et depuis, un certain nombre d’évaluations ont été faites par cette commission, et à l’heure actuelle, aucune recommandation comme quoi nos machines à voter ne fonctionneraient pas, ou auraient des dysfonctionnements, n’a été publiée. »
l’animateur de la table ronde n’a autorisé à Pierre Muller que cette brève réponse : « Le rapport de la CEV, que j’ai lu, est parfaitement clair. Elle déconseille l’utilisation des machines, et il n’y aura pas d’utilisation aux prochaines élections générales. »
La conclusion globale du rapport de la CEV est [1] :
« Eu égard aux questions du secret, de l’exactitude et des tests, tels que définis en référence, la Commission conclut donc qu’elle est incapable de recommander l’utilisation du système proposé pour les élections locales et européennes et, par extension, pour le référendum qui doit être tenu le 11 juin.
La Commission souhaite souligner que ses conclusions ne sont pas basées sur des constatations indiquant que ce système ne fonctionnera pas, mais sur la constatation que jusqu’à présent, il n’a pas été prouvé de façon satisfaisant la Commission, que ce système fonctionnera.
De plus, la Commission reconnait que le niveau de preuve nécessaire au soutien de sa recommandation à l’encontre de l’utilisation du système proposé est bien plus bas que celui qui serait nécessaire pour recommander son approbation.
C’est pour cette raison que, bien que son travail soit incomplet, la Commission est en mesure de faire cette recommandation dans les délais impartis à ce rapport. »
Notre réponse :
Pierre Muller a dit : “la commission indépendante a déconseillé l’usage de ces machines Nedap”. Nous avons soigneusement choisi le verbe "déconseiller" parce qu’il nous paraissait refléter le style prudent de la CEV. Nous avons écarté des termes plus forts tels que "condamner" ou "déconseiller formellement". La traduction précise (mais un peu longue) des termes employés par la CEV est “être incapable de recommander”.
Selon M.Reyns, la CEV aurait dit : “nous n’avons pas le temps en deux mois de nous prononcer”. C’est faux. La CEV dit clairement être “en mesure de faire cette recommandation dans les délais impartis à ce rapport”. Son travail, tout incomplet qu’il soit, consiste tout de même en un rapport de 430 pages, comprenant 13 annexes qui sont les expertises demandées notamment à des universitaires. La CEV a rencontré un obstacle de taille : à trois mois des élections, le logiciel n’était toujours pas définitif. Elle en a conclu logiquement qu’« il est impossible pour qui que ce soit de certifier son exactitude » [2].
M.Reyns a dit : “Et depuis, un certain nombre d’évaluations ont été faites par cette commission”. Absolument rien de nouveau n’a été publié depuis le rapport de la CEV. Nous avons demandé des précisions à France-Élection, qui n’a pu nous fournir la moindre référence. Nous savions toutefois qu’une deuxième série d’expertises était en cours [3]. Elles vont conduire à la publication du second rapport de la CEV, annoncée pour d’ici quelques mois. Selon le Times [4], ce rapport insisterait sur la nécessité de raccorder des imprimantes aux ordinateurs de vote afin d’imprimer des bulletins.
M.Reyns a dit : “aucune recommandation comme quoi nos machines à voter ne fonctionneraient pas, ou auraient des dysfonctionnements, n’a été publiée”. Le terme “fonctionner” laisse une marge d’interprétation. Par exemple, dans le détail de ses conclusions, la CEV a relevé qu’« il existe une possibilité d’interférence/d’ingérence avec la machine à voter, la cartouche mémoire et le PC “durci” » [5]. Une machine avec laquelle il y a eu interférence, fonctionne-t-elle correctement ?
D’autre part, la CEV conclut qu’elle n’a pas réussi à prouver que ces ordinateurs fonctionneraient. Nedap/France-Élection répondra évidemment que le contraire n’a pas non plus été prouvé. Nous ne voyons pas cela comme de la rhétorique vaine, mais comme l’expression de la grande difficulté à s’assurer du fonctionnement correct d’un système impossible à auditer par conception. C’est en effet un problème spécifique au vote électronique, et les comparaisons avec d’autres systèmes informatiques, comme par exemple les systèmes bancaires, ne sont pas fondées.
M.Reyns a dit : “La manipulation de l’information est aussi très facile grâce à Internet”. Cela relève de l’amalgame.
Internet permet effectivement de propager de la désinformation, mais dans le cas présent, le sujet était un rapport officiel publié sur internet, donc une source incontestable. Si il y avait manipulation, elle se produisait dans ce colloque, et non pas à travers Internet. S’il s’agissait d’une attaque contre notre site Internet, notre travail consiste à faire la synthèse d’informations provenant des sources les plus sérieuses (rapports officiels, travaux universitaires, grands médias...).
Toutes proportions gardées, ce genre d’amalgame serait comme de discréditer le quotidien “Le Monde”, au motif de la présence de magazines de crédibilité très variable chez votre marchand de journaux.
Pierre Muller a dit : “il n’y aura pas d’utilisation aux prochaines élections générales”. La source est l’Irish Times du 27 septembre 2005, et le texte exact est : « Le ministre de l’Environnement Dick Roche dit qu’il est “très improbable” que le vote électronique soit utilisé pour les élections générales, prévues pour 2007 » [6]. Veuillez nous excuser de ne pas avoir rendu la nuance du “très improbable” lors de la brève réponse qui nous fût accordée. Des informations récentes ont levé toute incertitude [7].
Plus généralement, la mission de la CEV n’est pas du même ordre que celle des divers organismes d’inspection. Ces derniers doivent répondre à une série de questions très précises posées par un document de référence (en France, le “règlement technique fixant les conditions d’agrément des machines à voter”), et ces questions sont souvent fort mal posées, ou bien incomplètes. La CEV devait se prononcer bien plus largement sur “le secret et l’exactitude” de ce système de vote.
Enfin, nous trouvons quelque ironie à se faire traiter de manipulateurs par une société que nous estimons tromper les citoyens et les municipalités, tromperie qui porte sur deux points :
Nedap/France-Election cherche à faire croire que ses machines ne sont pas des ordinateurs.
le plus important : garantir l’authenticité du logiciel intégré est impossible, et c’est un problème commun à tous les ordinateurs de vote. Nedap prétend y arriver avec sa vérification de checksums. C’est inepte, comme le démontre notre article “la vérification de checksums est une duperie”.