Par Amilcar Brunazo Filho, fondateur de votoseguro.org
Avant de raconter l’histoire de l’informatisation du vote au Brésil, il est indispensable d’expliquer quelques caractéristiques de l’organisation du pouvoir électoral pour que l’on comprenne comment certaines choses se sont produites de façon tellement équivoque.
Au Brésil le vote est OBLIGATOIRE et le Tribunal Supérieur Électoral (TSE) exerce les trois pouvoirs républicains de réglementer, exécuter et juger tout le processus électoral. Cette accumulation inédite de pouvoirs est responsable de la centralisation antidémocratique des décisions entre les mains d’une minorité et de l’absence de transparence de tout le processus. Même les lois électorales finissent par être rédigées et approuvées sans que la société civile puisse réellement donner son opinion et participer.
Histoire de l’informatisation des élections
1) En 1982, à la fin du régime militaire dictatorial, à l’occasion du premier essai d’informatisation de la totalisation des votes, un évènement connu comme le "Cas Proconsult" se produit. Il s’agissait de la première tentative de fraude par des agents militaires. Mais l’esprit de corps de la Justice Électorale prévaut et étouffe l’enquête. Elle ne l’a jamais avoué, et a tout simplement effacé l’affaire de l’histoire officielle. L’informatisation de la totalisation des votes continue lors des élections suivantes.
2) En 1985, le TSE obtient du Congrès National l’adoption en urgence de la loi 7444/85 qui impose l’unification de la Base de Données des Électeurs par informatique et donne au TSE le pouvoir de réglementer le processus de recensement. Le TSE décide d’éliminer la photo de l’électeur du document d’identité électoral, ce qui provoque un énorme problème de sécurité, en permettant que n’importe qui puisse voter en utilisant le document d’un autre électeur. Cette erreur perdurera 20 ans et ne commencera à être corrigée qu’à partir d’un nouveau recensement qui débutera en novembre 2005.
3) En 1995, suite à de nouvelles pressions du TSE sur le Congrès, un projet de loi rédigé six mois auparavant par un groupe de travail interne du TSE est adopté, et deviendra la loi 9100/95, qui permet l’utilisation de machines à voter électroniques et donne au TSE le pouvoir de réglementer leur usage. Le TSE décide d’utiliser des machines à voter d’enregistrement électronique direct (DRE) sans bulletin imprimé vérifié par l’électeur. Il opte aussi pour l’identification de l’électeur sur la machine à voter, créant ainsi un nouveau problème de sécurité concernant le secret du vote. Cette machine est nommée urne électronique.
4) En 1996, 1/3 des électeurs, soit à peu près 35 millions de citoyens, vote en utilisant ces nouvelles urnes électroniques sans bulletin imprimé vérifié par l’électeur. En 1998 ils seront 2/3, et en 2000 la totalité.
5) En 1999, le Sénat reçoit un projet de loi : celui-ci oblige les machines à voter à imprimer un bulletin vérifié par l’électeur, crée l’audit statistique de 3% des urnes électroniques tirées au sort après l’élection, interdit l’identification de l’électeur sur la même machine où il doit voter, et impose l’utilisation de logiciels libres et ouverts.
6) Les ministres du TSE font à nouveau pression sur le Congrès et obtiennent en 2001, en à peine deux jours, l’adoption de sept révisions du projet de loi qui, entre autres, remet à 2004 l’impression du bulletin vérifié par l’électeur, impose d’effectuer le tirage au sort des urnes à recompter avant l’élection, permet l’identification de l’électeur sur la machine où il doit voter et permet au TSE d’utiliser des logiciels non libres, dont le code source n’est pas soumis à audit.
7) La pression du TSE sur le Congrès contre la transparence du vote électronique continue à se faire sentir en 2003 et, en moins de six mois, il réussit à faire passer une loi qui abandonne le bulletin imprimé vérifié par l’électeur et l’audit statistique du dépouillement électronique avant même leur mise en place en 2004. Cette nouvelle loi maintient l’identification des électeurs sur les machines à voter et l’utilisation de logiciels non libres.